Nous avons quitté la baie de Tantum, sur l’île Brava (Cap Vert) le mardi 19 novembre à midi. Le waypoint est mis sur le traceur et nous annonce la couleur : 1858mn de Salvador de Bahia, en route directe et sans contourner la bosse de Natal. En réalité il faut prévoir 2000mn. Il fait beau et chaud : depuis notre arrivée au Cap Vert nous vivons en short et t-shirt, et il en sera de même jusqu’à l’autre bout de l’Atlantique. Les prévisions nous poussent à faire route au Sud/Sud-Ouest pour éviter la grande zone sans vent s’étendant depuis le sud de l’île volcanique Fogo. Nous hissons GV et artimon et déroulons le yankee. Milagro roule et nous nous trainons un peu à 4,5 noeuds. Nous décidons quelques heures plus tard de sortir le spinnaker, passant cette fois à une vitesse moyenne de 8 noeuds.
En fin de journée nous prenons la météo sur le site de l’Organisation Météorologique Mondiale pour la zone nous concernant : CAPE VERDE de la Metarea II. Est/Nord-Est 3/4, parfois 5 près des îles et mer peu agitée. Les milles défilent, nous faisant passer de la zone du Cap Vert à la zone SIERRA LEONE, les conditions restent les mêmes, nous croisons rarement de gros navires au loin, comme le tanker Abdias Nascimentos, et le calme n’est troublé que par le générateur qu’il nous faut parfois mettre en route pour recharger les batteries.
Le surlendemain du départ, nouvelle avarie : la poulie de la drisse du spinnaker se rompt et fait un grand plongeon. il nous faut agir vite pour affaler, le risque étant que la drisse s’use rapidement et se coupe à la sortie de tête de mât. Autrement dit, faute de réa pour la guider, le spi tire la drisse vers le bas et elle rague dans la fente du mât. Nous affalons donc la voile et déroulons le yankee. Faute de l’appui du spi par petit temps (8-10 noeuds de vent) et avec la houle sur le travers nous nous traînons et Milagro roule. Ce n’est que le lendemain matin que la situation s’améliore, avec plus de vent (12-20 noeuds). Les prévisions météo ne changent pas pour la zone SIERRA LEONE, hormis de gros orages au sud de la zone mais qui ne nous concernent pas. En début d’après-midi la houle ayant diminué, Etienne grimpe au mât pour remplacer la poulie de spi et nous rapporte ensuite ce qu’il reste de la poulie précédente : le support en inox du réa… A 17h nous voilà de nouveau spi en tête, à 7 noeuds et la vie à bord redevient très confortable.
Depuis notre départ la température du bateau est rapidement montée à 29 degrés (et plus…) à bord… Autant dire que cuisiner se révèle une idée aussi peu motivante que de préparer une fondue sous 35 degrés! Adieu gâteaux, pain maison, pâte à tarte… bref : tout ce qui nécessite un four. L’objectif principal est de ne pas réchauffer le bateau plus qu’il ne l’est déjà. A défaut de pouvoir cuire longuement des aliments au four, nous nous lançons dans des essais de cuisine « locale ». Parmis ceux-ci des foufous à base de farine de manioc (pour le façonnage il nous manque encore quelques transat pour que ce soit maîtrisé), accompagnés de choux rouge cuit à la noix de coco avec une sauce crémeuse au citron vert parfumée à la noix de muscade. Nous improvisons !
À notre grand désarroi, les fruits et légumes que nous avions acheté au marché de Praia se sont révélés d’une piètre capacité de conservation. Ils ont très vite pourri et pour en jeter le moins possible, nous avons cuisiné ce que nous avons pu. Nous avons tout de même dû faire quelques entorses au bannissement du four et des cuissons longues pour écouler l’équivalent de deux régimes de bananes ! François s’est retrouvé à passer un saladier de pâte à pancakes bananes, soit une petite activité hammam d’une heure de bon matin! Et Lauriane s’est chargée de faire un fondant banane-chocolat version famille nombreuse qui aura duré une journée. Nous avons transpiré mais nous nous sommes régalés ! Toupie et Parebat souffrent eux aussi de la chaleur et ont de fait le droit à plusieurs trempages par jour.
Malgré un frigo conséquent, nous avons du faire très attention à cuisiner la juste quantité afin qu’il n’y ait pas restes. La chaleur fait très vite passer les denrées. Aucun risque pour le scorbut, les cales de Milagro étant richement fournies en conserves de légumes, fruits et pâté Hénaff. Seules les quelques provisions fraîches supplémentaires de Brava résisteront, avec un premier prix difficile à décerner entre le chou frisé, les carottes et les betteraves.
La vie à bord est rythmée par les quarts : 3h chacun avec 2h en commun, l’heure seul.e est au milieu du quart. Damien et Lauriane continuent quant à eux leur alternance toutes les trois heures. La journée, il y a souvent quelqu’un qui est sur le pont en plus, à lire ou contempler l’horizon. La nuit, cette heure seul.e est un cadeau. Joie de la partager parfois avec Damien ou Lauriane. Durant ces périodes il nous faut rester éveillés puisque nous assurons la sécurité du bord pendant que les équipiers se reposent, vaquent à de multiples occupations, profitent de l’ombre et révisent le matelotage de base.
Régulièrement se fait entendre un : « dauphins !! » et tout le monde sort à la hâte, enfile un gilet de sauvetage et s’avance à la proue du navire pour les voir jouer à l’étrave. C’est toujours magique de les voir glisser, se croiser, plonger après avoir frôlé le bateau et parfois sauter hors de l’eau en se laissant retomber sur le côté. Nous avons aussi quelques visites de poissons volants qui malheureusement pour certains s’échouent sur le pont. Nous admirons régulièrement leurs dextérité en vol pour échapper aux prédateurs. Des fous de bassan viennent également nourrir leur curiosité en jouant dans les voiles et nous accompagnent durant tout le trajet. L’un d’eux nous gratifiera d’ailleurs d’un bel autographe sur la grand voile! Pas très grave en général mais, à 4m de haut, impossible à nettoyer!
Depuis St Nazaire jusqu’à l’équateur, ce sont 44 degrés de latitude qui ont été franchis. Si au début le décompte ne semble pas important, à l’approche de LA ligne nous nous réjouissons de cette avancée vers ce passage symbolique. Un changement majeur a eu lieu pendant ce trajet, nous sommes passé du Nord au Sud. Dans un premier temps, nous avons passé l’équateur météorologique plus au nord que l’équateur géographique. C’est, pour simplifier les choses, la zone de changement des vents avec, entre les deux zones nord et sud une zone appelée le pot au noir et connue pour son absence de vent et pour jouer avec la patience des voileux qui le traverse. Pour notre part, nous aurons du vent tout du long grâce à un routage bien mené par Damien !
Au petit matin, Lauriane est venue réveiller les derniers endormis : la ligne sera franchie dans quelques minutes! Le temps d’enfiler une tenue adéquate et nous voilà tous sur le pont pour regarder le GPS afficher 00’00.000. C’est court, c’est éphémère et c’est joyeux. Ça y est nous sommes dans l’hémisphère sud! Dans la mer, pas de ligne pour indiquer le passage mais notre skipper voulait tout de même marquer le coup. Donc nous voilà à 7h30 tous en maillot de bain sur le pont, Toupie et Parebat aussi (sans maillot de bain…). Le baptême consiste alors à remplir chacun son tour un seau d’eau et à se le verser sur la tête. Entre la température de l’eau et celle de l’air, nous ne nous sommes pas fait prier pour passer à l’action! Toupie et Parebat ont aussi eu le droit à la douche, avec le contenant adapté à leurs tailles !
S’en est suivi un petit dej de fête et le soir nous avons débouché le champagne de Papy Bernard, offert spécialement pour le passage de la ligne, avec un apéro délicieux, le tout au milieu de l’Atlantique, la joie simple d’un moment rien qu’à nous.
Au départ de Brava, nous avons eu l’espoir de croiser les Vendée globistes, ce sera peine perdue à quelques heures près pour le Roi Jean Le Cam. Milagro était à la hauteur de Charal mais les coureurs sont passés bien plus à l’ouest de nous et les deux passant à l’Est du Cap Vert sont partis sans prendre le temps de nous attendre !
Pour notre part, et pour passer au plus vite ce mauvais épisode du résumé de notre transat, abordons tout de suite le sujet du spinnaker, pour bien vite passer à autre chose. C’était pendant une belle nuit de novembre, après les réparations à Praia, nous étions heureux d’avancer grâce à cette belle voile blanche et bleue, à plus de 8 noeuds de moyenne. Les milles s’enchaînaient et le confort à bord était parfait (i e pas de roulis). Tout allait bien jusqu’à l’arrivée de cet affreux nuage que l’équipière de quart n’a pas vu arriver, à l’abri sous le bimini. Tout est allée très vite. D’un coup le vent a changé de sens, 180°. Le spi a commencé à se deventer puisque les changements brusques sur un navire de 45 tonnes mettent du temps à changer sa direction. Damien et Lauriane ont sauté de leurs couchettes pour intervenir et, à la vue de ce nuage très menaçant, le premier de la sorte depuis le départ, affaler au plus vite. Les premières gouttes de pluie arrivant, Lauriane interpelle tout le monde pour qu’un équipier se charge de fermer tous les hublots et panneaux de pont, et que les autres viennent au plus vite sur le pont pour aider à affaler le spi, la chaussette bloquant, il fallait une personne à la barre, une à l’écoute et deux à la proue pour tirer sur le va-et-vient de la chaussette. Le renfort tardant, impossible à deux de tirer sur cette fichue chaussette qui reste bloquer en tête de mât et de gérer en même temps l’écoute, une dizaine de mètres séparant les deux postes. La force du grain augmente et tous les efforts pour débloquer la chaussette restent vains. D’un coup le spi s’éventre au moment où le renfort arrive sur le pont, une partie de la voile tombe à l’eau, et l’autre partie part s’emmêler dans les haubans, la faute à un vent changeant continuellement de direction sous une violente pluie. Nous récupérons l’intégralité du spi à bord et l’amarrons sur le pont, contre le filet des filières. Tout le monde va bien, l’essentiel est là. Malgré cela, l’ambiance est pesante. Faute de pouvoir dérouler le yankee, nous mettons en marche le moteur et attendons le lever du jour pour retirer les morceaux restés coincés en haut du mât. Au petit matin, nous sommes tous encore sous le poids de ce qui ressemble à un mauvais rêve. Nous rangeons le coeur lourd cette voile dans son sac, quasi convaincus qu’elle est irréparable et qu’il faudra lui inventer une nouvelle histoire pour qu’elle serve à autre chose qu’à nous faire glisser au portant. Fermons le sujet, nous le réouvrirons une fois l’avenir de cette voile décidé.
À défaut de concurrence avec les navires de course ou les cargos, Damien s’est remit dans la peau d’un régatier à la première occasion venue, au milieu de nulle part. Après des jours sans autre navire à l’horizon que de rares porte containers et tankers au loin, nous voyons en fin de journée apparaître un voilier à la poupe de Milagro. Son cap nous faisait redouter l’innacceptable : il veut nous passer au vent ! Diantre ce ne sont pas des manières ! Branle bas de combat sur Milagro, tous dans le cockpit, toutes voiles dehors et réglages aux petits oignons pendant près d’une heure pour obliger ce concurrent à terriblement lofer (serrer le vent), jusqu’à ce qu’il se résigne à abattre pour nous passer sous le vent. Non mais ! Le navire en question, un voilier tout neuf sorti des Sables d’Olonnes (France) et mené par un équipage argentin, ne joue pas dans la même catégorie (52 pieds et beaucoup plus léger) mais notre Milagro n’a pas démérité, à 9 noeuds, Après notre petite victoire, nous avons essayé de les joindre à la VHF mais, vexés, personne ne nous a répondu!
La nuit suivante nous approchons des îlots (pour ne pas dire rochers) de Saint Pierre et Saint Paul. Situés à environ 500mn de Natal (côte brésilienne), ils se composent de plusieurs îlots et récifs. Le plus grand d’entre eux, Belmonte, ne dépasse pas les 5500m². Découverts le 20 avril 1511 par le portugais Garcia de Noronha, ces îlots ont aussi été visités quelques siècles plus tard par Charles Darwin, lors de son voyage sur le HMS Beagle. Depuis 1988 ils sont rattachés à l’état du Pernambouc et, dix ans plus tard est inaugurée la Estação Científica do Arquipélago de São Pedro e São Paulo, un bâtiment de 40m² occupé par 4 chercheurs/militaires qui se relaient tous les 15 jours. D’un point de vue biologique, la végétation y est rare et plusieurs colonies d’oiseaux y habitent, dont des fous bruns et des noddis (bruns et noirs). Ces derniers seront à partir de là nos compagnons de route nocturnes, jusqu’à Salvador ! Amateurs des oiseaux de Hitchcock, les voici : https://karukinka.eu/wp-content/uploads/2024/12/Noddis-bruns_Milagro_karukinka_122024.wav
Après étude des cartes et données hydrographiques disponibles, nous laissons franchement tomber l’idée de s’en approcher de nuit et encore plus pour mouiller. Pour vous faire une idée de la morphologie des lieux, voici les cartes du service hydrographique brésilien que nous avons pu consulter :
La suite d’ici quelques jours 😉
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